En avril 1935, un Fokker de Swissair est pris dans une tempête de neige dans la Glâne fribourgeoise et doit atterrir d’urgence.
D’abord, on oscille entre deux sentiments: l’absurdité de cette situation qui prête machinalement à sourire et l’inquiétante étrangeté de découvrir cet avion sans ailes au centre de Promasens. Que fait cet engin désincarné entre l’église et la boulangerie du village, sous le regard, sans doute écarquillé, du bambin à droite de l’image?
Sur les réseaux sociaux, on s’encouble longuement sur des myriades d’images anecdotiques avant de dénicher ce genre d’oiselle rare. Celle-ci a été récemment postée sur le Facebook de Passé Simple, le mensuel romand d’histoire. Le cliché provient de la base de données en ligne du Poly de Zurich. Il a été numérisé dans un album photos qui recense les accidents d’avion entre 1931 et 1962. Le titre pourrait se traduire ainsi: «Le Fokker F.VII b-3m CH-166 (HB-LAO) de la compagnie Swissair après un atterrissage d’urgence à Promasens, à cause d’une tempête de neige.» On apprend que le pilote se nommait Albert Waegelin et que l’accident a eu lieu le mardi 2 avril 1935.
Dès le lendemain, la presse détaille ce «double atterrissage mouvementé». Résumé: vers 19 h, deux avions quittent Berne. Un engin postal de la compagnie Alpar, «piloté par Monsieur Schüpbach», et un grand trimoteur de la Swissair faisant le trajet Berne-Genève, avec à son bord, outre le pilote, un radiotélé-graphiste et un passager. «Immédiatement après Fribourg, les deux avions se trouvèrent subitement pris dans une tempête de neige et un brouillard qui leur enlevait toute visibilité, raconte La Liberté. L’avion de l’Alpar, après beaucoup de peine, parvint à atterrir sans incident à Drognens.» Et le quotidien d’ajouter: «Informée, la préfecture de Romont a pris soin du courrier, qui a été expédié par le train.» Ouf, l’honneur de l’aéropostale est sauf!
Pendant ce temps, un autre drame se joue à quelques kilomètres de là (roulement de tambour): «Le grand avion de la Swissair eut moins de chance. Il erra au-dessus de la Broye. Forcé de descendre, il se posa dans un pré à environ dix minutes de Promasens.» Malheureusement, l’exiguïté du terrain, les dimensions considérables de l’appareil et la proximité d’arbres entravèrent la manœuvre. «Il heurta violemment un boqueteau de chênes. Les passagers et le pilote sont indemnes, mais les dégâts subits par l’appareil sont considérables. Les deux ailes ont été arrachées et la carlingue a souffert.» Là encore, les passagers et le courrier ont été transportés à destination par automobile, note le quotidien. Décidément, la ponctualité du service postal n’était pas un vain mot.
Sur le réseau social, les commentaires s’affolent. Un habitant du village jure ses grands dieux que l’affaire a eu lieu en 1951, voire en 1952, exhibant une photographie prise sous un autre angle. «Peut-être y a-t-il eu deux accidents sur la même commune?» ironise le community manager. Des experts apportent leur kérosène au moulin: «Impossible, Swissair n’utilisait plus de Fokker après la Seconde Guerre mondiale.» Preuve à l’appui: le HB-LAO a bel et bien été «cannibalisé» pour ses pièces après l’accident, comme l’assure un obscur site d’érudits.
Moralité: «Oh libellule/Et toi, t’as les ailes fragiles/Moi, moi j’ai la carlingue froissée», chantait Charlélie Couture en 1981.
publié dans La Gruyère du 4 mai 2021 © réservé