Cinq ans après son acquisition par la commune de Romont, le fonds photographique Geisel, Bourquard, Donzallaz fait l’objet d’une émouvante exposition aux Capucins et d’une publication dans le prochain cahier de Pro Fribourg.

Quelle étrange sensation de redécouvrir Romont sous un tout nouveau jour! De tomber sur une photo des ateliers de confection de la manu- facture Angeloz & Fils et de voir ces dizaines de femmes affairées comme des fourmis derrière leur machine à coudre. De retrouver des photos de classe avec autant d’enseignants renfrognés. De revivre des soirées de gymnastique avec les hommes aux agrès et les femmes aux ballets. De sourire devant ces équipes de foot en rang d’oignons. De pénétrer à l’intérieur de l’Institut Saint-Nicolas, la maison de redressement qui avait si mauvaise réputation. De remonter à l’âge d’or de Tetra Pak. De revivre les carnavals, une terrifiante visite du Saint-Nicolas, l’ordination de Luc François Dumas, futur auteur de Bachu, la construction du PAA ou l’arrivée en fanfare du Tour de Suisse 1938.

Dès aujourd’hui et jusqu’au 18 septembre, l’église des Capucins accueille la première exposition du fonds Geisel-Bour- quard-Donzallaz, acquise par la ville de Romont en 2015. «Ces images constituent une mémoire photographique de la Glâne», affirme Florian Defferrard, docteur ès lettres au sein de Passeurs d’archives, l’entreprise mandatée pour la conservation et la mise en valeur de cette collection.

Déposées aux archives romontoises en 2016, ces images ont fait l’objet d’une attention particulière pour leur conservation et leur inventaire. «On retrouve beaucoup de portraits d’identité réalisés par les trois photographes qui se sont succédé dans l’atelier», explique Christine Fracheboud, collaboratrice de Passeurs d’archives et commissaire de l’exposition.

Romont Souvenirs se consacre à la mise en valeur des images réalisées en dehors du cercle privé. «Nous avons opéré une sélection selon des critères documentaires et esthétiques», explique Christine Fracheboud, qui avoue sa surprise face à la beauté des images d’Adolphe Geisel. «Ses photos ont des qualités esthétiques que nous ne soupçonnions pas. Il avait un regard. Quelque chose de Doisneau.»

Ces images rappellent une pratique aujourd’hui disparue: le magasin de photographie, chez qui Monsieur Tout-le-monde allait autant pour se faire tirer un portrait d’identité que pour faire développer ses films. «Les photographes travaillaient surtout sur commande», affirme Christine Fracheboud en montrant des images de l’inauguration qui d’un tea-room, qui d’une boutique de mode.

Ces images de commande forment aujourd’hui un témoignage précieux sur la vie quotidienne des Romontois durant plusieurs décennies. Au détour d’un cortège de la Fête-Dieu, on note l’évolution des coupes de cheveux, le raccourcisse- ment des jupes, le passage à la photographie en couleur.

A l’image des Glasson à Bulle ou des Mülhauser à Fribourg, les photographes «mitraillaient» lors des carnavals et des premières communions. Puis ils vendaient leurs images, exposées dès le lundi suivant dans les vitrines du magasin avec pignon sur la Grand-Rue. Aujourd’hui, ces témoins d’un autre temps forment une mémoire collective qui permet aux Glânois de renouer avec leurs racines et leur identité.

Au terme de l’exposition, ces images devraient être disponibles en ligne, notamment sur www.notre-histoire.ch et le site internet des archives romontoises. «Il faut remercier les autorités qui ont une sensibilité particulière pour leur patrimoine, avoue Florian Defferard. Et pas seulement bâti.»

Romont, église des Capucins, jusqu’au 18 septembre 2021

Pro Fribourg, Romont, une collection photographique inédite, 50 pages, www.profribourg.ch

En chiffres

Quelque 300 000 négatifs forment le fonds photographique Geisel-Bourquard- Donzallaz, dont 260 plaques de verre. A ce jour, 299 planches contact ont été numérisées, ce qui correspond à 4681 images individuelles. L’exposition aux Capucins dévoile 350 clichés sur 49 panneaux. La collection porte sur les années 1936 à 2001 (les images numériques de Jean-Louis Donzallaz n’ont pas été versées au fonds).

La ville de Romont a investi 190’000 francs dans ce projet, à savoir 65’000 fr. pour son acquisition et sa conservation en 2015 et 125’000 fr. pour sa valorisation en 2018.

D’origine bavaroise, Adolphe Geisel (1909-2003) naît à Bâle, où il accomplit son apprentissage de photographe, avant d’exercer dans différentes régions de Suisse et de France. En 1936, il a le coup de cœur pour Romont et y ouvre un magasin. Veuf, il se marie en 1942 avec une Romontoise et fait construire sa maison-atelier à l’avenue Gérard-Clerc. Ici, un reportage sur la manufacture de pantalons Angéloz, en 1964. ADOLPHE GEISEL/VILLE DE ROMONT

Diplômé de l’Ecole de photographie de Vevey en 1966, Michel Bourquard (né en 1943) reprend l’atelier en 1971 et s’y consacre durant une décennie. Etabli à Los Angeles, il a réalisé de nombreux portraits de célébrités et un grand nombre de ses photographies ont été publiées dans des magazines. Ici, des majorettes lors de la Fête cantonale des musiques fribourgeoises en 1975. MICHEL BOURQUARD / VILLE DE ROMONT

Parallèlement à son activité à la Migros, Jean-Louis Donzallaz (né en 1945) réalise, en tant qu’autodidacte, des photographies de mariage et couvre l’actualité glânoise pour La Liberté entre 1975 et 1980. Il succède à Michel Bourquard en 1981 et s’installe à la Grand-Rue. Avec enthousiasme, il photographie Romont et toute la Glâne jusqu’en 2018. Ici, l’école de danse Lisette Lara, en 2001. JEAN-LOUIS DONZALLAZ/VILLE DE ROMONT

publié dans La Gruyère du 8 mai 2021