Entre 1916 et 1968, Hans Wildanger a tenu son commerce de photographie à la Grand-Rue de Morat. Durant cinquante ans, il a documenté la vie quotidienne du district du Lac. Une exposition à voir au Musée de Morat.
Hans Wildanger (1888-1968) est arrivé à Morat en gris-vert, en 1915. Et il n’est plus jamais reparti. En pleine Première Guerre mondiale, le Zurichois de 27 ans est mobilisé comme télégraphiste. Il rencontre Emma Haas, de deux décennies son aînée, qui tient à la Hauptgasse le magasin familial de tabac, de graines et d’articles de pêche. Ils se marient. Lui qui a touché à l’électromécanique rajoute une ligne à l’enseigne sous les arcades: articles de photographie.
Plus d’un siècle s’est écoulé. Jusqu’au 26 septembre, le Musée de Morat rend hommage à cet homme qui a nourri la mémoire collective du district du Lac durant cinquante ans. Une mémoire sous la forme de 20 000 images, conservées de- puis 2013 à la BCU de Fribourg. Un bel ouvrage accompagne la mise en valeur de ce patrimoine.
Morat la photogénique
Autodidacte, Hans Wildanger se veut moins un artiste qu’un artisan de la photographie, comme le montre l’exposition. Très impliqué dans le tourisme, il est l’auteur d’innombrables cartes postales. Il est vrai que Morat dispose de certains charmes qui se prêtent à la photogénie: ses rives sauvages avant la construction du port, son lac gelé en 1956 qui fait le bonheur des patineurs, ses rues et ses terrasses si pittoresques.
- Musée de Morat, jusqu’au 26 septembre 2021
- www.museummurten.ch
- Morat dans l’objectif de Hans Wildanger, 160 pages, BCU/Musée de Morat/SHCF
«Vers 1935, Hans Wildanger prend une photo de la ville depuis le Bodenmünzi (le bois Domingue), avec le lac et le Mont-Vully à l’arrière-plan», relève le directeur Denis Decrausaz. Cette image devient emblématique de Morat, vendue aussi bien en cartes postales que stylisée par le peintre Armin Colombi et reproduite sur des affiches publicitaires.
Au fil des salles, on replonge dans le Morat d’autrefois. Les anciens reconnaîtront les inondations de 1916, le pavage de la Grand-Rue dix ans plus tard, le linge suspendu sur les rives, les bains publics, les plates-formes pour sauter dans l’eau. Comme une évidence, Hans Wildanger est aimanté par le lac. «Il photographie des bateaux et des vagues un peu à la manière des marines de Gustave Le Gray», évoque Denis Decrausaz. Un peu plus loin, le boucher Hornisberger porte fièrement un brochet, le regard plein de malice.
Grâce à la photographie, Hans Wildanger s’est élevé dans la société moratoise. Excellent commerçant, il est membre du Parti radical et désormais très impliqué dans la vie de la commune. Il chante également au sein du chœur d’hommes, dont il est le vice-président. «Nous avons ressorti de nos collections ce tableau des membres, tous photographiés par Hans Wildanger, même l’abbé Bovet.»
Durant le début du XXe siècle, le photographe – comme le médecin, le régent ou le postier – connaît tout le monde, autour d’un portrait d’identité, d’un baptême, d’un mariage, d’une fête villageoise. «Un jour, il a été demandé à Vallamand, commune vaudoise du Vully, pour tirer un portrait d’identité de chaque habitant», note Denis Decrausaz.
Après la mort d’Emma, Hans Wildanger se remarie en 1946 avec Heidi Burla, de deux décennies sa cadette. Ils ont une fille, Elisabeth. «Il photographie beaucoup dans son cercle familial», explique le directeur en pointant un choix d’images autour du sapin de Noël. Même le chien Rex a droit à son album. «Il expose ses images dans son appartement, des portraits familiaux, mais aussi des paysages.» Dans son magasin, Hans Wildanger teste les produits qu’il met en vente. Geek avant l’heure, il tourne des films Super-8, comme ce jour de baignade des éléphants du Cirque Knie ou ce cortège de la Solennité, en couleur s’il vous plaît.
Dans une scénographie repensée, cette exposition souligne l’étendue des usages de la photographie au fil du XXe siècle. La Gruyère a son Simon Glasson, Fribourg ses Lorson, Macherel, Ramstein, Rast. Désormais, les Moratois peuvent se rassurer: leur mémoire photographique est assurée par Hans Wildanger.
publié dans La Gruyère du 29 juillet 2021 © réservé